mardi 29 décembre 2009

Les préjudices d’une « sensibilisation »

Selon une étude récente, réalisée par des chercheurs en sexologie de l’UQÀM, ce n’est pas parce que des adolescentes portent des vêtements émoustillants que nos jeunes se vautrent dans la luxure. Ce document, intitulé La sexualité des jeunes Québécois et Canadiens : regard critique sur le concept d’ « hypersexualisation », entend déboulonner certains mythes en pleine expansion. 

Les auteurs affirment que la moitié des jeunes attend ses 18 ans ou davantage avant un premier rapport sexuel et qu’à peine 30 % d’entre eux vivent cette expérience avant 17 ans.  C’est à se demander qui, des adolescents ou de certains sexologues, professeurs d’université ou féministes, s’échauffe le plus les sangs avec l’hypersexualisation.  Pendant que ces protecteurs des vertus juvéniles, dont le discours évoque celui du clergé des années 40, croient que le sexe dénature les amours adolescentes, 85 % des filles et 83 % des garçons expérimentent leur première relation sexuelle alors qu’ils sont en couple et amoureux.  Il s’agirait même de 10 % de mieux qu’il y a 10 ans.  Faudra se faire une raison…

Si au moins la « sensibilisation » sur l’hypersexualisation se contentait de frapper à côté de la plaque sans dommages collatéraux, on pourrait toujours laisser courir. Ce discours dogmatique risque hélas d’atteindre l’effet inverse de celui qu’il prétend rechercher.  Selon Martin Blais, auteur principal de l’étude de l’UQÀM, des jeunes se croiront « niaiseux » et sexuellement attardés au contact de cette conception biaisée puisque, penseront-ils à tort, tout le monde a des rapports sexuels, sauf eux.  Des pressions sociales de conformité à des standards qui n’existent que dans l’esprit d’oracles évangélisateurs pourraient les pousser à vivre des expériences qu’ils ne désirent pas réellement.

Vincent Paris, professeur en sociologie, dénonce également cette vision qu’il n’hésite pas à qualifier de culpabilisante et de stigmatisante à cause des comportements sexuels extrêmes et minoritaires qu’elle attribue au plus grand nombre.  C’est ainsi que des ados sans malice se voient apposés l’étiquette d’hypersexués, pour ne pas dire de déviants, par leurs camarades ou même leurs enseignants, à la suite d’un assaut de « sensibilisation » dans les écoles. D’autres, une fois « conscientisés », en viendront à confondre des pulsions sexuelles légitimes et saines envers leur partenaire amoureux avec une attaque d’hypersexualisation corruptrice, à l’instar d’épouses et de mères du temps jadis pour qui le plaisir était source de péché, voire de damnation éternelle.

« Il y a un écart entre les propos qu’on entend dans les médias et ce qu’on lit dans la littérature scientifique, précise par ailleurs Martin Blais.  Même si le vêtement est parfois osé et que l’accès à la pornographie est facile, les scénarios sexuels des jeunes ont très peu changé. »  Il n’existerait donc pas de rapport aussi étroit entre l’hypersexualisation des médias, phénomène incontestable, et la sexualité des adolescents à proprement parler, qui sont loin d’être aussi influençables que d’aucuns le prétendent.

C’est par le cliché de jeunes irresponsables qu’il propage, que le discours victimaire et infantilisant sur l’hypersexualisation cause le plus de préjudices.  Si les ténors de cette approche décident de privilégier le mieux-être des jeunes sur leur prestige personnel et le son de leur propre voix, ils pourront, à la lecture de l’étude de l’UQÀM, réviser leurs positions et relativiser leur propos.  Ce serait la moindre des courtoisies envers nos adultes de demain.

Également paru dans Le Soleil du 1er janvier 2010.

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